Les Inscrits Maritimes du Bas-Adour en particulier raconté par F P Pecastaings

L’inscription maritime, qui existe toujours aujourd'hui à quelques variantes près, fut créée par Colbert en 1668.

Le but du grand ministre de Louis XIV était de recruter pour la marine Royale qu'il voulait renforcer, des marins professionnels formés. En effet, pour l'époque la navigation demandait moins de technicité qu'aujourd'hui, les marins pêcheurs ou navigateurs au commerce (gabariers, galupiers, bateliers) étaient très rapidement transformés en marins pouvant servir sur les vaisseaux de guerre.

Il est vrai que le vocabulaire employé par les uns ou les autres était similaire (une voile, un foc, un aviron, une drisse, une haussière, une épissure, un boute, bâbord, tribord, etc. .. ont la même signification pour tous).

L'idée, sans doute géniale pour l'époque de Colbert, fut de considérer que tout homme, né à proximité de la mer, d'un estuaire, d'un fleuve (1), dont lui-même ou ses parents tiraient leur subsistance, était considéré comme "inscrit maritime". Ce statut existe encore de nos jours avec une variante toutefois: un riverain de l'Adour souhaitant la pêche n'est plus inscrit d'office mais doit en faire la démarche auprès de l'Inscription Maritime.

Quels étaient les inconvénients et les avantages d'être "inscrit maritime"? Nous verrons aussi dans ce paragraphe quelques modifications existant aujourd'hui.

Tout d'abord, les inconvénients:

L'inscrit, non officier, devait rester disponible jusqu'à quarante-huit ans, ce qui ne veut pas dire qu'il était en permanence mobilisé. En temps de paix, par exemple, il revenait à la vie civile et embarquait soit à la pêche, soit au commerce. il est à noter que, pour la vallée de l'Adour en tout cas, les riverains occupaient très souvent un double emploi (paysan et pêcheur ; artisan et pêcheur; bucheron et pêcheur, par exemple).Cette pratique existe encore de nos jours. Elle fait l'objet de convention entre les différentes caisses de retraite.

Pendant de longues années, le marin au double emploi, ne bénéficiait pas d'une annuité complète pour une année de navigation contrairement aux gabariers, galupiers ou bateliers qui étaient, eux, considérés comme des marins à temps plein.

Lorsque la conscription est devenue obligatoire, les "inscrits maritimes" ont été tenus d'accomplir une durée de service militaire supérieure aux soldats des autres armes: trois ans au li eu de dix-huit mois entre les deux guerres, par exemple. Après la guerre 39-45, cette obligation a été supprimée. La durée légale du service national était identique pour toutes les armes : dix-huit mois en moyenne, jusqu'en 1970, avec un maintien prolongé sous les drapeaux pendant la guerre d'Algérie.

Après avoir été débarqué d'un vaisseau de guerre et rendu à la vie civile, "l'inscrit maritime" pouvait continuer à cotiser pour sa retraite et sa couverture sociale. On disait qu’ 'i l payait le "Rôle». Le rôle était un document de bord sur lequel se trouvaient inscrits tous les membres d'équipage: patron, matelots, novices...C'est la durée d'embarquement qui fixait le montant de la cotisation. Il faut savoir que cette cotisation était payée par les membres d'équipage eux-mêmes, pour les indépendants "marin pêcheur" en particulier. C'était une lourde charge(2). Toutefois, ils s'en acquittaient volontiers car, au bout, il y avait la retraite, cette fameuse retraite à laquelle très peu de citoyens pouvaient prétendre.

Pour les salariés (patron ou matelots des gabares, galupes ou bachets), c’était l'armateur qui payait le rôle, sa ns doute devait-il en tenir compte pour établir les salaires de ses hommes.

Les avantages d'être "Inscrit Maritime":

Pendant tout son temps d'embarquement sur la Royale, l'inscrit" percevait une solde. Il lui était retenu 2% pour sa retraite.

A cinquante ans, s'il justifiait de vingt-cinq ans de navigation, soit de vingt-cinq annuités (3), et ceci depuis la fin du 17ème siècle, il pouvait percevoir la "Pension d'Invalidité" de la marine et vivre comme un petit rentier, à l'abri de la misère. Les retraités de la marine n'étaient jamais à la charge de leurs enfants. Les sacrifices de 1 vie professionnelle étaient enfin récompensés.

Les veuves bénéficiaient, tout au moins depuis le début du 20ème siècle, de la réversion de retraite. Cette règle existe encore aujourd'hui

Actuellement, le fleuve Adour compte des "inscrits maritimes" vivant partiellement, pour la majorité d'entre eux, de la pêche (saumon, alose, lamproie, pibale en particulier).Certaines obligations ont disparu. La conscription ayant été supprimée, "l'inscrit" ne fait plus de service national ; il n'embarque pas non plus sur les navires de guerre.

Je connais au moins trois retraités habitant Urcuit qui ont suivi la voie des inscrits maritimes dès l'âge de 17 ans. ils ont accompli le service national dans la marine, donc porté le pompon rouge, ont été réserviste de cette arme et, enfin, ils perçoivent la pension d'invalidité des marins ; petite, car ils n'ont pas vécu une vie professionnelle entièrement consacrée à la marin e.

Avant de conclure, voici une petite anecdote: les "inscrits maritimes dé finitifs" (pour l'être, il fallait compter dix-huit mois de navigation) étaient mis en route, pour aller accomplir leur service national, par l'administration civile, le 1 er jour du mois qui suivait les vingt ans.

En résumé, on peut constater que les besoins de la marine de guerre dite "Royale" ont bénéficié aux marins de notre Bas-Adour. Dès la fin du 17ème, début du 18ème siècle, ils ont été assurés d'une couverture sociale et d'une retraite grâce à Colbert.

J'ignore si d'autres corporations ont bénéficié d'avantages analogues. Si ce n'est pas le cas, ce grand ministre peut être considéré comme le précurseur de la "sécurité sociale" et de la retraite par répartition tant défendues aujourd'hui.

(1) Pour l'Adour, le point terminal sensible de marée se situe à Le Vimport-Tercis dans les Landes (40)

(2) ça l'est encore aujourd'hui.

(3) S'il comptait moins de 25 ans, il ne percevait sa retraite qu'à 55 ans.

 

François-Pierre Pécastaings